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UN VETEMENT, UNE SIGNIFICATION

Le digital se rapporte à la communication à travers les supports immatériels, les technologies numériques et les différents réseaux. Au 21e siècle, son potentiel de développement demeure gigantesque, voire infini. 
La marque « DIGITAL u » nous plonge dans cet univers et veut réfléchir sur le présent et le futur qu’il propose à l’homme. 
Chaque processus de réflexion est à l’origine d’un ensemble de symboles graphiques qui se décline en vêtements. 
 
Le « u » qui apparaît dans le nom de la marque est l’abréviation de « universe », mais prend également le sens oral de « you » : il s’agit d’une invitation adressée au lecteur à considérer les dérives représentées sur chaque vêtement, pour que celui-ci tente d’y échapper.


 

La pensée de groupe

Sur le vêtement, les silhouettes sont orientées les unes vers les autres. Cette attitude manifeste un besoin fondamental chez l’être humain : celui d’appartenir à un groupe. Trois éléments caractéristiques des groupes digitaux ont pour conséquence de réduire l’investissement affectif que porte l’individu aux autres membres du groupe : -La facilité d’accès : en un clic, l’individu appartient à un nouveau groupe digital. Cela nécessite donc beaucoup moins de temps et d’énergie investie à se familiariser avec les autres que dans la réalité. Cette facilité est représentée par la silhouette qui court, puisqu’elle s’apprête à entrer dans le groupe sans avoir eu la moindre interaction avec ses membres. -Les relations impersonnelles : la taille des grandes communautés digitales ne favorise pas la considération d’autrui : en ce sens, il devient plus difficile de fixer des points d’affection. -La faiblesse des signaux émotionnels : l’individu cherche dans ses relations un appui émotionnel qui est dénaturé avec le digital. En effet, la richesse des signaux émotionnels est réduite par la communication médiatisée : pas de tactilité, peu de signaux non-verbaux, une captation du regard et des mouvements limitée. L’auteur utilise une métaphore pour illustrer cette idée de réduction de l’investissement affectif : les silhouettes paraissent aveuglées par les rayons de lumière digitale, et ne peuvent donc pas prêter attention aux autres membres du groupe car elles doivent détourner le regard. Pourtant, elles sont attirées par cette lumière, à l’image de la silhouette qui court pour s’en approcher. Cette vision reflète le paradoxe entre la soumission de l’être humain et son attirance pour le digital. La conséquence de ce phénomène de perte affective est le sentiment d’indifférence ressenti par l’individu : le groupe vit avec ou sans lui. D’autre part, le rassemblement de masse effectué par les réseaux sociaux peut conduire le groupe digital à établir des normes et valeurs qui s’éloignent progressivement de celles de l’individu. Dans ce cas, un écart naît chez l’individu entre son comportement au sein du groupe et ses valeurs personnelles. La théorie de la dissonance cognitive explique que pour réduire cet inconfort psychologique, il préférera renoncer à ses singularités pour rester cohérent avec le comportement de groupe. Ce renoncement constitue l’abandon d’une partie de l’identité de l’individu ; il est représenté par l’échappement de flux au dos des silhouettes. L’humain digitalisé semble donc induire une forme d’agrégation : tous les membres sont similaires, car les croyances individuelles se sont conformées les unes aux autres. Cette conformité conduit à la pensée de groupe, dans laquelle les opinions dissidentes sont découragées et la pensée critique atténuée. Sur le vêtement, la pensée collective est représentée par les fils qui lient les silhouettes. Leur finesse illustre la fragilité de la pensée de groupe, et le fait qu’ils soient tenus par le leader évoque la possibilité de manipuler ses membres. Ce vêtement illustre donc la perte des singularités de l’individu au profit de la pensée de groupe, d’une part à cause de l’absence de considération qui lui est portée, et d’autre part à cause de son besoin de conformité.

Le narcissisme

Le narcissisme de l’homme moderne est porté sur son reflet digital. L’ange représente l’Homme pour deux raisons : -Il est l’Homme beau, que la technologie fait chuter dans le narcissisme ; -Il est l’Homme pur, qui ne voit rien de négatif. Ce qui est rejeté par la bouche de l’ange est un ectoplasme. Il s’agit d’une substance de nature indéterminée extériorisée par un médium en état de transe, lors d’une communication avec ce qu’il considère être un esprit. L’ectoplasme est ici une métaphore de la personnalité virtuelle : à travers le monde digital, l’Homme établit des interactions qui n’appartiennent pas au monde réel. Au verso du tee-shirt, l’ange qui se regarde dans le lac fait écho au mythe de Narcisse. Cependant, ce n’est pas de lui-même que l’homme moderne tombe amoureux dans son reflet, mais de son « image digitale » ; c’est-à-dire de l’image qu’il renvoie à travers les réseaux. Tout comme pour le recto de ce tee-shirt, on retrouve la représentation de l’ange comme pur et totalement dominé par une force supérieure : par les dieux pour le mythe de Narcisse, par le monde digital pour sa modernisation. Enfin, la disposition du dessin au verso traite de l’affectation de la quantité d’énergie : selon Freud, nous disposons d’une quantité d’énergie limitée, qui est placée sur le monde d’une part, et sur nous-mêmes d’autre part. Cette réserve étant limitée, un investissement important consacré à la personne propre entraîne un retrait des forces attachées au monde extérieur. La « libido d’objet » est donc en balance avec la « libido du moi », et plus l’une nous absorbe, plus l’autre s’appauvrit. Sur ce verso, l’ange focalise son attention sur le miroir, alors qu’il ne représente qu’une infime partie de son environnement ; sa « libido du moi » absorbe totalement sa « libido d’objet ». Malgré cette vision négative, on remarque au recto que l’enfermement de l’ange par le monde digital n’est que partiel, ce qui signifie que l’homme peut encore y échapper.

La sexualité

L’immersion dans le monde digital peut modifier en profondeur notre rapport à la sexualité. Les informations transmises par l’univers digital dans la pornographie déclenchent l’orgasme, représenté par l’œil et le positionnement de l’iris. L’humain semble hypnotisé par la déformation et le flou sur l’écriture digitale : cela illustre l’ambiguïté du positionnement du digital entre réel et imaginaire, mais également l’emprise qu’exerce cet univers sur l’Homme. Chaque orgasme renforce la centralisation des rapports avec la technologie et contribue parallèlement à la disparition des rapports charnels entre humains. En effet, ces rapports sont représentés par l’association entre l’œil et le « u » (qui prend le sens « you »), mais on remarque qu’une barre les sépare : le regard humain ne peut pas se poser sur le « u » et semble redirigé vers le digital. L’Homme paraît donc obligé d’orienter sa sexualité vers cet univers et de reproduire le schéma décrit : le déplacement de son désir vers la technologie. Cette vision est prolongée au dos du vêtement. Lors de l’orgasme, l’humain secrète normalement des molécules de dopamine, dont la formule est la suivante : C8H11NO2. Cependant, l’orgasme étant créé par la technologie, l’auteur imagine une autre réaction chimique : la fragmentation de la dopamine. Le point culminant de ce rapport entraînerait la libération des atomes présents dans la molécule de dopamine dans des proportions identiques, mais séparés en 4 différentes molécules, qui sont réellement toutes toxiques pour l’être humain lorsqu’elles sont isolées : -C6H6, benzène : hydrocarbure inflammable provoquant des irritations cutanées et pouvant avoir des effets cancérogènes. -CH2O, méthanal : gaz inflammable classé comme cancérogène. -NH3, ammoniac : gaz extrêmement inflammable, corrosif pour les voies respiratoires et provoquant de graves brûlures cutanées. -CO, monoxyde de carbone : gaz inodore, toxique et potentiellement mortel. La disposition des molécules au niveau du sacrum évoque l’écart qui se creuse entre l’Homme digitalisé et celui des époques précédentes, dont la sexualité était davantage dictée par l’instinct de reproduction...

 L’énergie vitale

Le digital se nourrit de l’énergie humaine. Au recto, le motif représente deux schémas identiques qui sont disposés inversement. On distingue quatre éléments principaux sur chaque schéma : le losange sur une première extrémité, des flux au centre, le « U » qui se cache au milieu de ces flux, et le digital sur l’autre extrémité. Les flux illustrent la circulation de l’énergie vitale autour de l’être humain. Ils sont invisibles dans le monde réel et peuvent être assimilés à une aura. Dans les losanges, la figure irradiante représente les constituants de l’énergie vitale. Parmi eux : le sommeil, la relaxation, l’alimentation, l’air, la lumière, le mouvement, la sexualité, etc. C’est dans cette figure irradiante que les flux trouvent leur énergie : ils retrouvent d’ailleurs la même lueur blanche, symbole de vitalité. En allant vers l’autre extrémité, l’énergie qui circule dans les flux semble se perdre. En effet, à l’approche du digital, les flux s’assombrissent et se vident progressivement : le digital absorbe l’énergie humaine pour s’en nourrir. L’énergie vitale de l’être humain est donc d’une part alimentée par ses constituants et d’autre part absorbée par le monde digital. Cependant, cette relation n’est pas vraiment équilibrée : seulement deux branches des flux sont alimentées en énergie, tandis que quatre branches sont absorbées. L’être humain est en déficit d’énergie. Lorsqu’ils sont assemblés, la confusion entre les deux schémas donne l’impression que le digital tente de s’immiscer parmi les constituants de l’énergie vitale, puisqu’on le retrouve sous les losanges sur les deux extrémités du motif. En effet, le digital contribue à la fois à alimenter l’énergie vitale (par son apport en lumière notamment) et à l’absorber. Là encore, cette relation n’est pas équilibrée, puisque le digital consomme davantage d’énergie humaine qu’il n’en apporte.

 La mémoire

Dans notre univers digital, la mémoire est réduite à une galerie photo consultable en permanence et sans effort. Cette nouvelle mémoire présente une particularité, puisqu’elle ne sollicite qu’un seul de nos cinq sens : celui de la vue. Au recto de ce tee-shirt, nous retrouvons l’inscription familière « digital u », entourée d’une forme intrigante. Cette forme représente l’hippocampe cérébral, qui est quelque peu modifié. L’hippocampe a pour rôle de lier les cinq sens de l’être humain pour former un souvenir complet. Il a normalement une forme en C, qui passe par l’aire gustative, tactile ou encore olfactive : Or, la forme représentée semble bien plus étendue vers la droite, et comporte quelques absences au niveau des aires qui devraient être traversées. L’auteur joue donc sur la forme de l’hippocampe pour illustrer l’amoindrissement de ses fonctions : dans le monde digital, celui-ci ne traite désormais que des informations en provenance de l’aire visuelle et devient incapable de lier les différentes aires entre elles pour former un épisode. Au verso du tee-shirt, une photographie est recouverte d’un bloc d’écriture, assimilable à un programme de codage informatique. La première ligne de ce codage évoque les aspects positifs de la mémoire digitale : l’augmentation de la capacité de stockage des souvenirs, la diminution de la charge cognitive pour l’humain et la facilitation du partage des souvenirs. L’image n’a pas été choisie au hasard, puisqu’il s’agit d’une scène d’anniversaire. Elle fait écho à un souvenir universel, auquel notre cerveau associe spontanément des émotions agréables, comme la satisfaction, la joie, l’euphorie, le partage, l’amour (ligne 3 du codage). Cependant, cette analyse cérébrale est uniquement basée sur l’aire visuelle, ce qui est dû à notre hippocampe dysfonctionnel : les autres aires sont totalement ignorées et ne sont plus invitées à participer à la création d’un épisode. Cette idée peut se lire sur les lignes 2,3 et 4 du codage : il est indiqué que l’unique aire impliquée dans la lecture du souvenir est visuelle, tandis qu’une erreur système apparaît pour la consultation des autres aires. Ce monopole de l’aire visuelle crée un souvenir incomplet que notre cerveau va essayer de reconstituer. Cependant, les émotions associées ne sont probablement pas celles qui ont été réellement ressenties : on peut parler de faux souvenirs. La dernière ligne du codage révèle un élément négatif de la mémoire digitale : la mémoire à court-terme est rejetée, car l’intention de capturer un moment pour en faire un souvenir à long-terme (en l’intégrant à notre galerie photo digitale) prend le dessus sur la capture de ce même moment par nos différents sens (familièrement « vivre le moment présent »). C’est ce qui va progressivement nous séparer de quatre de nos cinq sens, et ainsi expliquer le dysfonctionnement de l’hippocampe présenté au recto du tee-shirt.

L'imagination

Le monde digital nous confronte en permanence à des images viscérales. Ce sont à partir de ces images que nos phases d’imagination se déclenchent. Les images digitales sont représentées sur la manche par un fond bleu. La forme blanche qui figure par-dessus est un mécanisme de reconnaissance, utilisé par le cerveau pour identifier les points-clés de l’image et déclencher l’imagination. Les phases d’imagination sont représentées par les ondes. De la gauche vers la droite, on remarque que la fréquence des ondes accélère au fil des images. Le changement de fréquence s’explique par les interruptions permanentes de nos périodes d’imagination par de nouvelles images : ces périodes se réduisent progressivement pour laisser place aux ondes permettant au cerveau de revenir à un état de vigilance, afin que celui-ci puisse pleinement accueillir l’image suivante. Les interruptions entraînent la régression de notre fonction imaginative, ce qui affecte notre capacité à rêver : durant le sommeil paradoxal (phase au cours de laquelle interviennent la majorité de nos rêves), les scènes se succèdent trop rapidement, et notre fonction imaginative devient à court d’images. Cette idée est représentée au recto du vêtement par le flux d’images qui s’égrène progressivement, jusqu’à la disparition de toutes les images. Le cerveau revient alors à un état de conscience tandis que les muscles ont encore besoin de repos : c’est la paralysie du sommeil. Ce phénomène est parfois à l’origine d’hallucinations : au verso, une créature digitale semble hanter le sommeil paradoxal de l’être humain (qui correspond au 5e état du sommeil). Cependant, l’auteur joue sur l’ambivalence suivante : est-ce la paralysie du sommeil qui crée l’hallucination de la créature digitale, ou bien cette dernière qui paralyse notre sommeil par son emprise ? -La mention « desver », qui signifie « divaguer » en ancien français (et qui donnera plus tard naissance au verbe « rêver ») se range du côté de la première hypothèse : la créature ne serait que le fruit de l’imagination humaine durant le sommeil paradoxal. -Le Kanashibari, une personnification japonaise décrivant la paralysie du sommeil comme un esprit vengeur, se range du côté de la seconde hypothèse. Ici, le digital se vengerait de l’emprise exercée par l’humain en inversant les rôles : la créature prendrait le contrôle sur son créateur.

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